• La vie politique est quelques fois animée d'évènements inattendus pour le moins étranges. Par exemple, Méluche s'en est pris, avec son habituelle verve fleurie, aux émeutiers d'Amiens Nord... C'est vieux d'une dizaine de jours, je sais, mais cela m'avait échappé !

    « Bouffons », « larbins », « crétins »..., il n'a pas osé reprendre « racailles », qui aurait été parfaitement approprié. C'est bien dommage.

    On imagine bien le malaise chez certains au Front de gauche (lire cet aricle sur Rue89) : voir le chef s'exprimer comme un vulgaire Chevènement, un vulgaire... Sarkozy !

    C'est vrai que, traditionnellement, l'extrême-Gauche verse plutôt dans l'immigrophilie. L'immigré et le fils d'immigré, plutôt que l'ouvrier indigène, ne sont-ils pas les figures même de l'exploité ? Certains, comme Éric Conan, repris par Hervé Algalarrondo, avancent une explication pour ce tropisme persistant, abruptement rompu par le tribun.

    Tout remonterait à un couac survenu dans la belle épopée de Mai 68. Les étudiants gauchistes en pleine effervescence tentent de faire jonction avec les prolétaires barricadés dans la citadelle de Renault-Billancourt. Malheureusement, méfiant, le PCF avait donné des consignes : pas question de leur ouvrir les grilles ! Meurtris par cette traitrise ouvrière, les gauchistes auraient alors délaissé ce prolétariat décidement trop bourgeois pour se tourner vers le lumpen des immigrés.

    On peut donc se demander quelle mouche a piqué Mélenchon. Je propose une hypothèse.

    Peut-être bien qu'il a compris, par la fessée prise à Hénin-Beaumont, que ses positions sur l'immigration n'enchantaient pas trop la classe ouvrière, dont il prétend prendre la défense mais qui se sent parfois menacée par l'immigration. Alors, il fait du Sarko — c'est-à-dire beaucoup de gros mots.

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    À lire:

    Éric Conan, La Gauche sans le peuple, Fayard, 2004 ;

    Hervé Algalarrondo, La Gauche et la préférence immigrée, Plon, 2011.


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  • On attend beaucoup trop de l'Histoire, ce qui signifie aussi qu'on lui reproche plus que de raison. Le Figaro magazine de vendredi dernier (ici ou ici) l'illustre une nouvelle fois, à propos de l'enseignement prétendu « cassé » de l'Histoire de France.

    Jean Sévillia est à la manœuvre. Cela commence par l'affirmation racoleuse de Laurent Wetzel, « Ils ont tué l'histoire-géo » ; vient ensuite la déploration de ce que « les générations des années 1970 et 1980 [n'ont] pas la même conception de l'histoire de France que leurs aînées des années 1940 et 1950, parce qu'elles n'ont pas reçu le même enseignement, ni utilisé les mêmes manuels », sans qu'on sache trop pourquoi cela serait un tort. L'article prend également la défense de Lorànt Deutsch, rescapé d'une infâme tentative de censure de l'extrême-gauche parisienne, alors que son livre, Métronome, d'après des commentaires que j'ai pu en lire, semblerait de qualité médiocre. 

    Bref, je trouve le papier de Sévillia assez mauvais.

    Je passe sur les images d'Épinal ridicules qui l'illustrent. C'est à se demander pourquoi les historiens bossent et à quoi servent les journalistes...¹ Je ne dirai rien non plus des ouvrages dont la réclame est faite, ne les ayant pas lus. Je signalerai cependant que Dimitri Casali est le grand spécialiste des dénonciations à l'emporte-pièce, aussi partielles qu'indignées.

    Par leur agitation, lui et ses semblables ont visé à répandre partout des idées erronées (comme le reconnaît son acolyte Benoît Crespin : question de « communication »), ainsi les fantasmatiques disparitions de Louis XIV et Napoléon des programmes ou bien l'idée que l'histoire enseignée serait repentante.² Ce faisant, beaucoup en vinrent à surestimer de façon grotesque le temps réservé aux civilisations extra-européennes (10 % du temps consacré à l'histoire en 6° et 5°, rien en 4° et 3°). Jean Sévillia apporte de l'eau à ce mauvais moulin.

    Mais au-delà de ces complaisantes contre-vérités, il faut aller au cœur du problème. Car on sent bien, qu'en filigrane, se pose la question de l'immigraton et des banlieues.

    C'est très clair à la fin de l'article, où Sévillia regrette le « roman national » élaboré sous la III° République. Celui-ci « naguère, poursuivait un but : unir les petits Français, quelles que soient leurs origines, dans une vision commune de leur pays. » Je n'irai certes pas jusqu'à m'étrangler en criant à l'offensive de l'histoire réactionnaire, ni à parler de vague brune (pas racoleur non plus, hein !).³ Néanmoins, je me pose la question : que croit-on ? Que les crouilles se tiendront tranquilles pour peu qu'on leur fasse aimer la France ? C'est proprement absurde.

    Il est entendu que de graves problèmes existent dans de nombreux quartiers. Certaines gens y chient sur le drapeau, d'autres niquent « les Gaulois », d'autres encore sifflent La Marseillaise ; il y a surtout des agressions et de la violence, pas mal de situations sociales difficiles... Croire que réhabiliter l’amour de la Nation à l'école y changera grand'chose relève d'une magnifique naïveté.

    Mais cette magnifique naïveté n'est pas différente de celle qu'ont ceux qui, à l'opposé, pensent qu'ouvir les programmes aura le même effet thaumaturgique. On attend trop de l'Histoire.

     

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    ¹ Heureusement, Jean Sévillia ratrappe le coup sur la fin, en évoquant les évolutions historiographiques qui remettent en cause « certains partis pris de l'histoire de France façon Lavisse ». Plus de cohérence n'aurait cependant pas fait de mal. On peut lire un ouvrage rafraichissant, dirigé par Alain Corbin, 1515 et les grandes dates de l'histoire de France revisitées par les grands historiens d'aujourd'hui, Seuil, 2005.

    ² Je ne trouve pas, moi qui les enseigne, qu'il y ait beaucoup de repentance dans les programmes. Il est parfaitement normal de parler de traite négrière, de colonisation, de décolonisation ; par ailleurs, les élèves de 5°, justement en étudiant l'Afrique subsaharienne au Moyen Âge, voient qu'existèrent les traites intra-africaine et musulmane. Accès de repentance ?

    ³ Toutefois, les lamentations sur le fait que les programmes parlent de la mondialisation, ce qui est notamment le cas de la géographie en 4°, sont franchement crétines. L'école devrait-elle, au nom du « roman national », se couper de toute contemporanéité ? Comme si le « roman national », lui-même, ne fut pas élaboré en fonction d'enjeux très contemporains de sa naissance...


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  • La lecture de Simon Epstein est assez éprouvante, l'auteur s'en excuse même dans l'avant-propos de son livre Les Dreyfusards sous l'Occupation. La matière de l'ouvrage consiste en de nombreuses notices biographiques, de longueurs inégales, regroupées en chapitres thématiques ; il est difficile de tout lire sans finir par s'emmêler les pinceaux...

    Le sujet, néanmoins, n'est pas sans intérêt, et une lecture sélective reste pertinente. Les premier et second chapitres, notamment les parties sur Péguy et Sorel, sont passionnants ; le chapitre six, qui se penche sur Laval, Pétain et Darlan, l'est tout autant. Toutefois, s'il n'en fallait lire qu'un, c'est le dernier qui en vaut le plus la peine.

    L'auteur s'y essaye à deux choses. D'une part d'expliquer pourquoi un nombre si important de dreyfusards finirent par collaborer, plus ou moins activement, durant l'Occupation ; d'autre part, et c'est ce qui m'intéresse ici, pourquoi cette donnée fut occultée par les historiens et intellectuels français. Simon Epstein discerne deux raisons principales. 

    1. L'essentialisation du dreyfusisme

    Dès l'affaire Dreyfus, et davantage par la suite, apparut une tendance à deshistoriciser les dreyfusards. Le qualificatif fut peu à peu employé pour désigner métaphoriquement ceux qui s'engageaient dans de justes causes ; c'est-à-dire des causes validées par la Gauche. « Les dreyfusards ne forment plus une catégorie historique mais un ensemble abstrait, intemporel, auquel de nouvelles générations militantes sont invitées à s'identifier et dans lequel elles sont appelées à se fondre », écrit Simon Epstein qui parle même de « légion céleste » (page 314). Il donne l'exemple de Pierre Vidal-Naquet, qui, en 1986, classait les militants de l'indépendance algérienne en trois catégories, dont les « dreyfusards »...  

    2. La fable des deux France

    La seconde raison est la généralisation d'une interprétation particulière de l'Histoire de France. Selon cette grille de lecture, de la Révolution à l'affaire Dreyfus, puis de cette dernière à l'Occupation, se seraient opposés deux camps aussi immuables qu'antagonistes. L'un, à Gauche, serait le Bien et l'autre, à Droite, serait le mal. C'est ce que Simon Epstein nomme la thèse des deux France.

    Or, écrit-il, cette thèse et erronée : « L'image est séduisante, voire exaltante, et l'on comprend sans peine qu'elle ait prétendu à un rôle crucial dans la structuration des mémoires nationales. L'ennui est qu'elle perd très vite de son attrait, dès qu'on approche du sol » (page 315). Cette thèse pose naturellement l'idée d'une identité de personnes entre antidreyfusards et collaborateurs, or tout l'ouvrage d'Epstein montre que c'est là une vue simpliste.

    Tentant une généalogie de cette idée, il remonte à Hanna Arendt, qui la proposa dès 1942. Puis elle tomba dans l'oubli jusqu'aux années 1980, où elle fut exhumée en lien avec la montée en puissance du Front national. Le principe est simple : le FN, ce sont les collaborateurs, ce sont les antidreyfusards. Le centenaire de l'Affaire, en 1994-1998, n'arrangea rien. 

    Simon Epstein cite des exemples d'auteurs ayant contribué à cette résurgence : Marc Knobel, Michel Winock, Jean-Pierre Rioux. Surtout, il nous invite à ne pas nous duper sur l'innocence de ces auteurs, à voir les subterfuges qu'ils utilisent pour minimiser la collaboration de gauche (voir cet extrait).

    3. Conclusion : un cercle vicieux de certitudes

    Ces processus ont ceci d'intéressant qu'ils montrent une tendance solidement ancrée à Gauche à réécrire l'histoire, à littéralement la mystifier. La puissance des œillères idéologiques est telle qu'elle masque l'évidence aux chercheurs et aux penseurs, au regard orienté par leurs convictions. Les inconvénients que cela induit sont évidents, en même temps que l'avantage qu'en retire la Gauche.

    Celle-ci se taille un costume sur mesure, se donnant systématiquement le beau rôle, renvoyant ses adversaires dans les cordes de l'infâmie. Symétriquement, elle se sent renforcée dans ses certitudes et sa bonne conscience, se complait dans une auto-célébration satisfaite rendant en retour difficile tout examen critique.

    Thierry Wolton, dans un livre, avait nommé « complexe de gauche » cette caractéristique. Malheureusement,  il ne donnait aucun remède. 


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  • Il est salutaire de mettre au jour les falsifications fréquentes qui permettent à la Gauche de se tailler les plus jolis costumes de pureté et d'innocence. L'Histoire est une discipline à la fois des plus nécessaires et aussi, pour cette raison, des plus sensibles. (Les notes sont de moi.)

    Le fait est que les hérauts des « deux France » sont moins naïfs qu'ils ne le paraissent. Ils admettent, certes de mauvaise grâce, qu'il y a eu de gens d'extrême-droite, voire des maurassiens antisémites dans la résistance. Ils connaissent les glissements qui ont conduit des gens de gauche vers le pétainisme et des antifascistes au nazisme. Ils considèrent cependant que ces cas, dont ils minimisent le nombre et la représentativité, ne sont pas de taille à remettre en question la validité de leur idée principale. La collaboration de gauche n'est pas masquée dans sa totalité, ce qui serait un peu fort, mails elle l'est dans sa nature (qu'on présente comme déviante, alors que la collaboration de droite est décrite comme naturelle) et dans son ampleur, qu'on réduit autant que possible par divers procédés. La méthode consiste à être scrupuleux à l'extrême dans le décompte des collaborateurs de gauche, mais emphatique et globalisateur dans le repérage des collaborateurs de droite¹. Plus générallement, un collaborateur venant des Croix-de-Feu n'échappera pas à son passé et sera stigmatisé, avec insistance, comme Croix-de-Feu. En revanche, un collaborateur venu du Parti radical ou du Parti socialiste perdra miraculeusement son indication d'origine : il sera étiqueté technocrâte sans âme, complice de Laval ou personnage redoutable et ambitieux. Un sophisme imparable  couvrira parfois le tout, présupposant que quiconque collabore, par le fait même qu'il collabore, est positionné à droite ou à l'extrême-droite².

    Simon Epstein, Les Dreyfusards sour l'Occupation, Albin Michel, 2001, pages 335-336

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    ¹ L'auteur, dans une note, donne l'exemple de Jean-Pierre Azéma qui, dans l'Histoire de l'extrême-droite en France, n'envisage parmi les collaborateurs que ceux qui étaient encore à Gauche en 1938, alors qu'il n'hésite pas à remonter plus avant pour les collaborateurs venant de la Droite.

    ² Une pratique qu'il faut bien dire habituelle : on reprochera toujours à un homme de droite un passé trop extrême, mais beaucoup plus rarement à un homme de gauche.


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  • Tocqueville :

    La démocratie étend la sphère de l'indépendance individuelle, le socialisme la resserre. La démocratie donne toute sa valeur possible à chaque homme, le socialisme fait de chaque homme un agent, un instrument, un chiffre. La démocratie et le socialisme ne se tiennent que par un mot, égalité ; mais remarquez la différence : la démocratie veut l'égalité dans la liberté et le socialisme veut l'égalité dans la gène et dans la servitude.¹

    Rien n'est plus faux malheureusement. Tocqueville ne pouvait le voir dans le contexte de son époque, mais il faut se rendre à l'évidence : aucune nécessité de nature ne fait que la démocratie étende « la sphère de l'indépendance individuelle ».

    En effet, la démocratie est le pouvoir de la majorité. Que se passe-t-il quand cette majorité est acquise au socialisme ? C'est tout à fait démocratiquement que le socialisme peut rabougrir la liberté, il suffit qu'une majorité d'électeurs le souhaite.

    Ayn Rand était beaucoup plus lucide : « Les droits individuels ne sont pas soumis au vote populaire ; une majorité n'a pas le droit de voter l'élimination des droits d'une minorité ; la fonction politique des droits est précisément de protéger les minorités de l'oppression des majorités - et la plus petite minorité sur terre est l'individu. »²

     

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    ¹ Discours prononcé à l'Assemblée constituante, 12 septembre 1848.

    ² Ayn Rand, La Vertu d'égoïsme, Les Belles Lettres, page 169.


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  • Je lis en ce moment la dernier opus d'Élisabeth Lévy, La Gauche contre le réel. Cataloguée néo-réac par le prêt-à-penser gauchiste, elle invoque Voltaire pour justifier son droit d'expression.

    Franchement, on nous rebat les oreilles avec Voltaire ! Il faudrait créer un « point Voltaire », à l'image du « point Godwin », à chaque fois que quelqu'un invoque naïvement le philosophe en renfort de la tolérance. 

    Le lieu commun consiste notamment à citer cette fameuse phrase : « Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire. » Jolie phrase à n'en pas douter, très généreuse de surcroît. L'ennui c'est qu'elle est parfaitement apocryphe ; elle apparut en 1906, sous la plume d'un biographe de Voltaire, la Britannique Evelyn Beatrice Hall ; elle entendait par-là résumer la position du penseur.

    C'est assez curieux, d'ailleurs, parce que Voltaire avait une conception particulière de la tolérance : un instrument qu'il invoquait au service de ses idées, mais qu'il était fort loin de réclamer pour ses adversaires. Rousseau, ou l'abbé Fréron, pourraient en témoigner ! La tolérance voltairienne est fondamentalement partisane et partiale.

    Conception qui eut, après lui et jusqu'à aujourd'hui, une riche postérité. Par exemple, dans un article de Rue89, la journaliste reproche à des gens qu'elle ne goûte guère (genre Zemmour, Ménard, etc.) d'invoquer Voltaire pour justifier leur droit à la parole. Or, répond-elle en substance, ils ne le peuvent point puisque le philosophe n'était pas si tolérant... Message transmis : que l'on fasse taire ces nuisibles, qui pérorent si mal à propos ! D'ailleurs, cela ne rate pas, un commentateur lâche : « De toute façon on devrait empêcher de parler tous ceux qui sortent de la norme, ainsi nous ne serions pas polué  [sic] par l'extrême droite ! » Limpide ! En revanche, pour ce qui est de définir la juste norme...

    On dira qu'ici, on défend une conception autrement plus large de la tolérance que la vision étroite de Voltaire. Un rappel conceptuel s'impose : ce qui confère, in fine, une quelconque valeur à la tolérance, c'est la protection qu'elle accorde justement à la différence et à la dissidence. Elle n'a d'intérêt qu'en dehors du consensus. Être tolérant, c'est donc faire de la liberté d'expression la règle universelle du jeu, que l'on se gardera bien, si l'on est fair-play, de vouloir instrumentaliser à son avantage.

    Pour revenir à Voltaire, point n'est question d'instruire un procès anachronique ; sa vision s'explique par le contexte de son temps. Et il vrai que, parfois, il doit se retourner dans sa tombe. 

     

    Post scriptum

    On peut lire avec profit le livre de Didier Masseau, Les Ennemis des philosophes. L'antiphilosophie au temps des Lumières, Albin Michel, 2000. D'une part parce que c'est toujours bon de jeter un coup d'œil dans le camp d'en face, c'est-à-dire des vaincus, d'autre part parce que, en arrière plan, se pose la question de la neutralité dans la recherche historique (p. 9) :

    Quelles que soient nos positions idéologiques, politiques ou critiques, convenons que les notions de « Lumières » et d'« anti-Lumières » relèvent d'une construction a posteriori profodément influencé par l'actualité dans laquelle elles s'élaborent. L'étude [...] reste à faire. Elle témoignerait, sans doute, d'une influence considérable exerccée par les engagements politiques du moment [...].


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  • Dans Tak, Pierre-André Taguieff signe une analyse en tout point parfaite de l’instrumentalisation politique du racisme par la Gauche. Il en montre la généalogie historique et la logique opératoire. Il déplore que la Droite se laissât enfermer dans cette nasse, incapable d’assumer simplement les valeurs qui sont les siennes.

    Malheureusement, l’intelligence des uns ne prévenant guère la bêtise des autres, c’est tout naturellement qu’un individu vint déposer un commentaire des plus stupides. Un de ces commentaires gauchistes comme on les aime : ignorant mais pétri de suffisantes certitudes.

    Voici l’abjection :

    « la droite est *à jamais* maudite » pour plusieurs raisons :

    - elle était royaliste et cléricale au 19eme ;

    - elle était antisémite dans les années ’30 ;

    - elle a trahi la France en collaborant et l’humanité en faisant la rafle du vel d’hiv (et autres crimes….) ;

    - elle a été à l’origine de l’horreur coloniale (en y entrainant bien sûr beaucoup de gens prétendument de gauche) ;

    - elle promeut aujourd’hui la haine raciste anti-arabe.

    Elle a ainsi déshonoré les valeurs qui l’habitaient dans la fange du fascisme. Elle n’est plus qu’un groupement de défense d’intérêts économiques soutenu par la frange du peuple qu’elle réussit à effrayer après l’avoir parquée dans les ghettos périurbains.

    Reprenons succinctement chacune de ces affirmations si péremptoirement faites.

    *     *     *

    1. La Droite était royaliste et cléricale au XIXème siècle

    Oui, et la Gauche n’était politiquement pas socialiste… Ce que notre bon monsieur semble ignorer, c’est que la Droite d’alors n’était pas celle d’aujourd’hui. S’il avait lu Thibaudet, dans Les Idées politiques de la France, il aurait découvert le sinistrisme dont on peut tirer cette conclusion affriolante : la Droite d’aujourd’hui c’était la Gauche d’alors !

    2. La Droite était antisémite dans les années 1930

    J'irai plus loin : il y eut des antisémites de droite bien avant... Mais c'était aussi bien le cas parmi les socialistes. Ah ! Un petit détail que notre donneur de leçon semble bien méconnaître. Il devrait lire Michel Dreyfus, L'Antisémitisme à gauche. Histoire d'un paradoxe, de 1830 à nos jours. De bonnes lectures rendent savant.

    3. La Droite est responsable de la Collaboration et de la sinistre rafle du Vel d'Hiv'

    À n'en pas douter, Pétain était antisémite et de droite (celle de « la terre qui ne ment pas »). Néanmoins, autour de lui, à Vichy, il y avait moult personnalités de gauche. Nous pouvons recommander la lecture des travaux de Simon Epstein, Les Dreyfusards sous l'Occupation et Un Paradoxe français, qui fournit des listes interminables d'hommes de gauche, souvent anciens dreyfusards, qui par pacifisme, ou bien qu'ils virèrent finalement antisémites, ou bien qu'ils furent subjugués par les moustaches du Führer, choisirent le « mauvais » camp. 

    À contrario, nombre de personnalités de droite, voire d'extrême-droite, agirent dans la résistance contre l'envahisseur. Dieu, que l'Histroire est compliquée ! (Et ce n'est pas parce que cet odieux Zemmour clame tout ça tout fort partout que c'en est moins vrai.)

    4. La Droite fut colonialiste

    Ce n'est pas faux. Mais pas entièrement vrai non plus. Ici aussi, l'Histoire s'amuse à interdire les idées simples. Raoul Girardet, dans L'Idée coloniale en France, nous apprend que la Droite, au XIXème s., n'était pas très enthousiasmée par la colonisation. Les monarchistes avaient d'autres soucis en tête, et on les comprend ; la majeure partie des libéraux la rejetaient (sauf, il est vrai, Paul Leroy-Beaulieu à la fin du siècle) ; les nationalistes regardaient la ligne bleue des Vosges et voulaient qu'on en parlât, on connaît bien la fameuse réponse de Déroulède à Jules Ferry : « J'ai perdu deux sœurs, et vous m'offrez vingt domestiques. » Bref, au XIXème s., l'idée coloniale fut plutôt une belle idée de gauche, en tout cas républicaine. 

    Mais fut-elle une idée socialiste ? Là encore, il faut bien admettre que oui, en partie. Alors, bien sûr, notre commentateur filou réfute que ceux-là appartinssent à la Gauche. Évidemment, c'est très commode : à ce compte, on est toujours sûr d'avoir raison. Jean Jaurès semble avoir évolué d'un franc soutien à une critique de plus en plus vive. Léon Blum, en revanche, reprit à son compte les idées de Ferry. Quant au PCF, il faisait la girouette selon les intérêts de Moscou. Enfin, des gouvernements SFIO conduisirent aussi les guerres d'Indochine et d'Algérie.... Toute personne honnête conviendra aisément qu'il s'agissait-là de gens bel et bien de gauche. 

    5. La Droite promeut aujourd'hui la haine raciste anti-arabe

    Soyons juste : pourquoi seulement les Arabes ? Pas de discrimination : les Nègres, aussi, ont le droit d'être haïs... 

    On peut estimer que l'immigration massive ne pose aucun problème. On peut n'avoir aucune espèce d'attachement à l'idée de nation française, de culture française, voire même de civilisation occidentale. Mais c'est une profonde malhonnêteté intellectuelle de prétendre que toute personne portant un intérêt à ces questions est nécessairement un raciste anti-arabe (et anti-nègre aussi, ne les oublions pas). La pensée grossière est toujours laide.

    6. La Droite, c'est la fange fasciste

    Sans doute cette personne ne sait-elle pas lire. Bien que l'article de M. Taguieff explique suffisamment qu'assimiler la Droite à son extrême est un mensonge politique, cela ne l'empêche pas de s'y livrer en toute impudence... Certaines gens sont parfaitement hermétiques à toute connaissance nouvelle, dès lors qu'elle heurte leurs convictions. Les œillères de l'idéologie.

    Cela étant dit, le fascisme était-il vraiment de droite ? Vaste question.

    7. La Droite est responsable des ghettos urbains

    Ce n'est pas totalement faux, elle était bien au pouvoir dans les années 1960 et 1970, lorsque les grands ensembles furent bâtis. Mais Yves Lacoste, dans La Question post-coloniale, rappelle justement que ceux-ci avaient été conçus pour les classes populaires urbaines, gonflées par le baby boom et l'exode rural, et non pour les immigrés. Si ces derniers s'y retrouvèrent finalement en masse, cela ne procéda jamais d'aucune intentionnalité, malgré la loi sur le regroupement familiale de 1976. La Droite est donc involontairement responsable de l'existence des « quartiers ». (Pour un libéral, c'est un exemple supplémentaire de l'inéptie planificatoire de l'État.)

    Au passage, on pourrait reprocher à la Gauche son irresponsable soutien à l'immigration de masse, puisque celle-ci ne fait qu'alimenter les « ghettos » français. Mais on se remet rarement en cause à gauche...

     *     *     *

    Je pense avoir assez montré l'indigence intellectuelle du commentaire. Je me demande quand même si ce n'est pas là une plaisanterie, tant il illustre jusqu'à la caricature ce que Taguieff explique dans l'article. Enfin, voyons-nous en concentré le manichéisme primaire du gauchisme : à Gauche toute la lumière, à Droite toutes les saloperies.


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