• L'endoctrinement scolaire - Première partie

    Le modèle social français dans le programme d'éducation civique de 5ème

    Le nouveau programme (PDF) d’éducation civique de 5ème, entré en vigueur en septembre 2010, est construit autour de trois notions : la diversité, l’égalité et la sécurité. L’objectif affiché est que les élèves perçoivent et comprennent l’articulation qui existe entre ces trois notions et, qu’à la fin de l’année, « chaque élève [soit] capable d’identifier les valeurs essentielles permettant de vivre en société ».

    La seconde partie du programme étant axée sur l’égalité, elle donne un aperçu du système social français, et donc de l’idéologie qui le sous-tend ; c’est pourquoi je m’attacherai à cette partie du programme.

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    L’intitulé de cette partie du programme est révélatrice des ambitions : « L’égalité, une valeur en construction ». Il s’agit bien, nous le reverrons par la suite, de projeter les élèves dans un processus dynamique ; l’égalité étant une valeur en construction, elle n’est jamais atteinte et les élèves doivent prendre conscience qu’ils devront, une fois devenus des citoyens à part entière, œuvrer sans relâche à sa défense et à son accomplissement. Il va sans dire que cette approche programmatique et, pour ainsi dire, militante ne concerne pas réellement l’égalité devant la loi. Celle-ci est bien sûr abordée dans les manuels – ne serait-ce que parce qu’ils font référence à la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 –, mais les programmes officiels sont on ne peut plus clairs sur l’interprétation à donner : « Valeur construite dans le temps, l’égalité républicaine est déterminante pour compenser et corriger les inégalités ».

    C'est dans cette phrase que transparaît le plus clairement l'orientation idéologique du programme. Il me semble évident que le sens que les programmes donnent au terme « égalité » est majoritairement le sens socialiste, tandis que son acception libérale est presque totalement évacuée. L’accent est mis sur la lutte contre les inégalités, ouvrage infini, dans un véritable hold up sémantique, puisque l’égalité telle qu’entendue en 1789 renvoyait à l’égalisation devant la loi, et non à l’égalisation des conditions.

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    Cette seconde partie du programme, consacrée à l’égalité, est divisée en deux thèmes déroulant le fil idéologique précédemment défini. Le premier thème a pour titre « L’égalité : un principe républicain ». Les connaissances que doivent acquérir les élèves sont ainsi présentées : « L’égalité est un principe fondamental de la République. Elle le résultat de conquêtes historiques progressives et s’inscrit dans la loi. » L’ordre républicain est donc défini comme l’ordre qui permet la traduction dans les lois du processus de conquête de l’égalité. Cela conduit à présenter comme indiscutable le fonctionnement du système social actuel, comme l’exprime clairement la démarche prescrite aux enseignants : « L’étude est centrée sur le rôle de la redistribution dans la réduction des inégalités. La fonction de la fiscalité et de la protection sociale est explicitée à partir d’exemples : progressivité de l’impôt sur le revenu, principes de la sécurité sociale. Le principe de contribution est un aspect décisif de la responsabilité individuelle. » Aucune partie critique n’est prévue. Il n’est pas demandé aux élèves de s’enquérir des éventuels défauts du système, ni des possibles débats qui l’entourent, encore moins d’amorcer une réflexion sur les présupposés idéologiques qui le justifient ; l’éducation civique n’a pas pour objectif d’éveiller l’esprit critique des élèves.

    Le second thème porte sur la « Responsabilité individuelle et collective dans la réduction des inégalités ». Il prolonge visiblement le premier, dont le but est de susciter la soumission volontaire au système sociale en place. Ici, il s’agit d’impliquer plus personnellement les élèves en essayant de susciter chez eux un engagement « citoyen » (selon le néologisme consacré) : chacun est, à titre individuel et collectif, responsable de la lutte contre les inégalités, c’est là un objectif qu’il incombe à tous de vouloir poursuivre ; le programme idéologique de la République doit devenir le programme personnel de chacun. Les connaissances à transmettre sont ainsi présentées « Les inégalités et les discriminations sont combattues par des actions qui engagent les citoyens individuellement et collectivement. Les politiques visant à lutter contre les inégalités et les discriminations font l'objet de débats entre les citoyens, entre les mouvements politiques et sociaux. » La démarche indiquée consiste à étudier trois exemples : le cas de l’égalité homme-femme (qui est imposé), complété par les « exemples d'un service public et d’une action associative ».

    La mention de débats suggère que, même en 5ème, il est possible d’envisager ce type d’approche. Mais la lecture des manuels montre que cette possibilité n’est presque pas mise en œuvre. On comprend dès lors que, les objectifs étant considérés comme incontestables, il est d’autant moins possible de les mettre en débat qu’ils sont placés aux fondements de l’État républicain concepteur des programmes…

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    Cet aperçu de l'éducation civique telle que conçue pour la 5ème en montre clairement le caractère endoctrinant. En l’état, elle n’encourage pas plus une connaissance objective et non manichéenne de notre organisation sociale qu'une démarche rationnelle et réflexive à son égard. Comment, en effet, concevoir des doutes devant les idéaux si beaux que les programmes mettent en avant ? Je perçois pourtant deux confusions intellectuelles induites par ce programme. D’une part, on introduit l’idée que la solidarité se confond avec la réduction des inégalités – alors que ce sont deux objectifs différents. D’autre part, on associe dans une sorte de synthèse républicaine – en réalité inégale – les « droits de » et les « droits à » ; la critique marxiste des Droits de l’Homme comme « droits de l’homme bourgeois » est donc juxtaposée auxdits Droits de l’Homme, comme si la contradiction de départ ayant fait sortir celle-là de ceux-ci n’existait pas…

    Il est normal, sans doute, qu’un enseignement civique s’attache à décrire le fonctionnement de la société tel qu'il est. Mais quitte à cela, il semblerait logique d’introduire les élèves aux débats qui animent cette même société, afin qu’ils puissent progressivement les comprendre puis s’y insérer pleinement une fois devenus adultes. Ne serait-ce pas la moindre des choses dans une démocratie ? Il semblerait plutôt que le but soit de fixer les limites dans lesquelles l'esprit civique doit se développer, et ce sont des limites bien à gauche.

    < Vers l'introduction


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