• Économiste et socialiste, mélange des genres

    Ça y est, c’en est fait du triple A. En même temps, tout le monde s’y attendait depuis un petit moment… Le plus intéressant, donc, dans cette non nouvelle, ce sont les réactions qu’elle suscite. En particulier, puissante est la tentation de tout mettre sur le dos de Nicolas Sarkozy ; tentation à laquelle, fidèles à eux-mêmes, les socialistes ont cédé sans tarder.

    On le voit nettement dans une sorte d’entretien publié par Le Monde avec Karine Berger. Le plus rigolo, c’est qu’elle est présentée comme « économiste et candidate du Parti socialiste aux élections législatives dans les Hautes-Alpes ». Alors, on ne sait plus très bien qui parle : l'économiste (pas toujours très) professionel, ou bien le politique (très souvent) partial ? Un curieux mélange des genres, source de jolies perles à en faire des colliers.

    C’est ainsi que la perte du triple A est grave, qu’écris-je gravissime. Car c’est « l’image de la France qui est en jeu » ; moi qui pensait bêtement que c’était surtout une question de viabilité des finances publiques… Et puis, c’est bien fait pour Sarkozy que ça lui arrive juste avant les présidentielles, lui qui « porte une lourde responsabilité » dans tout ça. Moi, je me demande bien, quelles que soient les âneries bien réelles de notre président, quelles âneries toutes aussi réelles les socialistes auraient faites s’ils avaient été aux affaires… Question qu’une candidate socialiste ne saurait poser, bien entendu, fût-elle économiste.

    Mais, en même temps, il ne faudrait pas donner l’impression de se plier aux diktats de la finance ; comme le dit par ailleurs Mélanchon, il faut r-é-s-i-s-t-e-r aux agences de notation. D’où cette précaution : « Le triple A, bien sûr, ne doit pas être le Veau d’Or ». Alors c’est très, très grave, mon bon môssieur, mais, en fait,pas tant que cela !

    Les socialistes savent faire d’excellents contorsionnistes quand ils le veulent…

    Autre contorsion rigolote : il faut changer de politique économique. Ah ça oui, parce que c’est bien ce à quoi nous convie Standard and Poor’s. C’est déjà un miracle que des socialistes semblent le comprendre ; d’aucuns prétendaient que nous avions la gauche la plus archaïque du monde occidental, ce serait un avis injustifié : des progrès apparents ont été faits. Malheureusement, ceux-ci s'abîment dans un océan de raisonnements tellement tordus qu’ils en deviennent totalement abscons. Visez, avec bravoure, ce morceau : « Le prochain gouvernement devra à la fois être très rigoureux et contrôler strictement les dépenses publiques, tout en soutenant la croissance et en conduisant la politique fiscale la plus efficace et la plus juste possible. Ce n'est qu'en agissant à ce triple niveau que l'on pourra desserrer l'étau dans lequel nous sommes pris et retrouver un sentier de croissance sans lequel il est vain de prétendre redresser les comptes. » Si l’on résume : tournez à droite tout en allant à gauche cependant que, dans le même temps, vous montez en bas. Parce que, en bonne socialiste, Karine Berger n’aime pas les plans d’austérité (qui ne marchent pas sans croissance économique, y’a qu’à voir en Grèce hein). Mais, en bonne économiste, elle sait bien qu’il faut maîtriser les déficits publics – et puis, il faut bien faire cas de la note financière puisqu’on en fait grief à Sarkozy. Comment faire pour concilier les deux positions ? Eh bien  tournez à droite tout en allant à gauche cependant que… Elémentaire, non ?

    Toutefois, il existe une bonne vieille technique pour faire passer la pilule de l’incohérence. Il est suffisant de dénoncer un bouc émissaire, en l’occurrence (pour varier) le mal aimé Nicolas Sarkozy. C’est que le méchant a renforcé le bouclier fiscal, allégé les droits de succession, il a amputé les recettes de l’Etat « avant même la crise » (comme s’il avait pu la deviner…). Et là, on se demande : what’s the fuck !? Où est le putain de lien ? Croit-on vraiment que ces recettes  « perdues », si elles avaient été engrangées, auraient servi à autre chose qu’aux dépenses inutiles mais indispensablement dispendieuses que la France affectionne ? Auraient-elles, au hasard, servi à réduire l’endettement public pour anticiper une crise que, de toute façon, presque personne n’avait vu venir ? Facile, quand l’histoire est faite, de distribuer les blâmes. Karine Berger saute simplement sur une occasion en or pour refourguer l’habituelle rengaine socialiste de la « justice » fiscale, du cadeau fait aux riches, etc.

    Ce qui devient franchement drôle, c’est qu’en face de cette logique fantasque, il y a Jean-Marc Daniel. C’est saisissant, le contraste qui existe entre ces deux économistes. Là où Karine Berger mixe une approche d’économiste avec des enjeux politiciens, Jean-Marc Daniel se montre bien plus sobre, expliquant « l’économie-spectacle » d’une part des agences de notations, qui ne font que dire tout haut et souvent avec retard ce que tout le monde sait déjà, d’autre part des « responsables politiques, prompts à interpréter la perte du triple A comme l'échec de Nicolas Sarkozy et à s'en prendre aux agences de notation ». (Et Karine Berger nous en livre un bel exemple, d’économie-spectacle.) Il ne sombre pas dans des amphigouris visant à marier la carpe et le lapin : supprimer 90 milliards de déficit structurel, et pour cela faire « un effort de 20 milliards par an pendant la durée du prochain quinquennat en engageant la baisse de la dépense » ; intensifier la concurrence sur le marché du travail, car « On ne lutte pas contre le chômage en préservant la situation des salariés en place » ; encourager l’innovation ; oublier la TVA sociale, etc. Bref, « il faut assumer la rigueur. » C’est clair, net, sans détour.

    Les deux économistes admettent qu’il faut « changer de politique économique ». Mais force est de constater que là où pour l’un cela veut vraiment dire quelque chose, pour l’autre, il s’agit surtout de continuer tout presque comme avant, mais en disant que l’on fait autrement. Notre gauche, peut-être bien, reste finalement la plus archaïque du monde occidental…


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