• On attend trop de l'Histoire

    On attend beaucoup trop de l'Histoire, ce qui signifie aussi qu'on lui reproche plus que de raison. Le Figaro magazine de vendredi dernier (ici ou ici) l'illustre une nouvelle fois, à propos de l'enseignement prétendu « cassé » de l'Histoire de France.

    Jean Sévillia est à la manœuvre. Cela commence par l'affirmation racoleuse de Laurent Wetzel, « Ils ont tué l'histoire-géo » ; vient ensuite la déploration de ce que « les générations des années 1970 et 1980 [n'ont] pas la même conception de l'histoire de France que leurs aînées des années 1940 et 1950, parce qu'elles n'ont pas reçu le même enseignement, ni utilisé les mêmes manuels », sans qu'on sache trop pourquoi cela serait un tort. L'article prend également la défense de Lorànt Deutsch, rescapé d'une infâme tentative de censure de l'extrême-gauche parisienne, alors que son livre, Métronome, d'après des commentaires que j'ai pu en lire, semblerait de qualité médiocre. 

    Bref, je trouve le papier de Sévillia assez mauvais.

    Je passe sur les images d'Épinal ridicules qui l'illustrent. C'est à se demander pourquoi les historiens bossent et à quoi servent les journalistes...¹ Je ne dirai rien non plus des ouvrages dont la réclame est faite, ne les ayant pas lus. Je signalerai cependant que Dimitri Casali est le grand spécialiste des dénonciations à l'emporte-pièce, aussi partielles qu'indignées.

    Par leur agitation, lui et ses semblables ont visé à répandre partout des idées erronées (comme le reconnaît son acolyte Benoît Crespin : question de « communication »), ainsi les fantasmatiques disparitions de Louis XIV et Napoléon des programmes ou bien l'idée que l'histoire enseignée serait repentante.² Ce faisant, beaucoup en vinrent à surestimer de façon grotesque le temps réservé aux civilisations extra-européennes (10 % du temps consacré à l'histoire en 6° et 5°, rien en 4° et 3°). Jean Sévillia apporte de l'eau à ce mauvais moulin.

    Mais au-delà de ces complaisantes contre-vérités, il faut aller au cœur du problème. Car on sent bien, qu'en filigrane, se pose la question de l'immigraton et des banlieues.

    C'est très clair à la fin de l'article, où Sévillia regrette le « roman national » élaboré sous la III° République. Celui-ci « naguère, poursuivait un but : unir les petits Français, quelles que soient leurs origines, dans une vision commune de leur pays. » Je n'irai certes pas jusqu'à m'étrangler en criant à l'offensive de l'histoire réactionnaire, ni à parler de vague brune (pas racoleur non plus, hein !).³ Néanmoins, je me pose la question : que croit-on ? Que les crouilles se tiendront tranquilles pour peu qu'on leur fasse aimer la France ? C'est proprement absurde.

    Il est entendu que de graves problèmes existent dans de nombreux quartiers. Certaines gens y chient sur le drapeau, d'autres niquent « les Gaulois », d'autres encore sifflent La Marseillaise ; il y a surtout des agressions et de la violence, pas mal de situations sociales difficiles... Croire que réhabiliter l’amour de la Nation à l'école y changera grand'chose relève d'une magnifique naïveté.

    Mais cette magnifique naïveté n'est pas différente de celle qu'ont ceux qui, à l'opposé, pensent qu'ouvir les programmes aura le même effet thaumaturgique. On attend trop de l'Histoire.

     

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    ¹ Heureusement, Jean Sévillia ratrappe le coup sur la fin, en évoquant les évolutions historiographiques qui remettent en cause « certains partis pris de l'histoire de France façon Lavisse ». Plus de cohérence n'aurait cependant pas fait de mal. On peut lire un ouvrage rafraichissant, dirigé par Alain Corbin, 1515 et les grandes dates de l'histoire de France revisitées par les grands historiens d'aujourd'hui, Seuil, 2005.

    ² Je ne trouve pas, moi qui les enseigne, qu'il y ait beaucoup de repentance dans les programmes. Il est parfaitement normal de parler de traite négrière, de colonisation, de décolonisation ; par ailleurs, les élèves de 5°, justement en étudiant l'Afrique subsaharienne au Moyen Âge, voient qu'existèrent les traites intra-africaine et musulmane. Accès de repentance ?

    ³ Toutefois, les lamentations sur le fait que les programmes parlent de la mondialisation, ce qui est notamment le cas de la géographie en 4°, sont franchement crétines. L'école devrait-elle, au nom du « roman national », se couper de toute contemporanéité ? Comme si le « roman national », lui-même, ne fut pas élaboré en fonction d'enjeux très contemporains de sa naissance...


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